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sculpture textile à partir de shmatès
Ancre 1

D'abord, il y a le tissu.

Les vêtements usés jusqu'à la corde, chargés de temps. Les vêtements d'un être proche disparu, dont on ne parvient pas à se séparer. La naissance d'un enfant pour lequel patiemment, morceau par morceau, on coud le premier doudou. Il y a l'histoire, la grande et la petite, les grands-mères couturières, l'arrière grand-père tailleur. Un encombrement qui vient se résoudre dans la nécessité de transformer, en place de jeter. Les chiffons, les chutes, shmatès dit le yiddish – ce qui reste une fois que la pièce principale a été taillée et cousue. Le refus de les laisser devenir déchets, le besoin de leur offrir une seconde vie.

Et ainsi sont nées les shmat poupées. L'une après l'autre, au fil de la matière. L'étonnement, sans cesse renouvelé, devant l'inanimé qui s'habille d'on ne sait quelle présence. Chaque poupée est un personnage. Elles repeuplent un univers, parlent du vide, de l'absence, mais jamais de manière désespérée. Il s'agit d'un rapiècement joyeux pour donner forme à de nouveaux corps.

 

Shmatès. C'est par ce signifiant énigmatique que j'entendais souvent dans la bouche de ma grand-mère maternelle - qui ne parlait déjà plus yiddish mais dont le français restait émaillé de ces mots d'un ailleurs et d'un autre temps - que j'ai été attrapée, comme d'autres. Je pense notamment à l'artiste Michel Nedjar,  à ses poupées, ses "chairdâme(s)", qui semblent nous appeler des tréfonds.

C'est un terme riche de sens. On peut le traduire par chiffons, vêtements de peu de valeur, mais il parle aussi des corps qui ont habité ces chiffons avant que de disparaître. Il contient, par métonymie, cette absence. 

En découvrant le livre "Le schmat doudou"de l'auteure et conteuse Muriel Bloch, il m'est venu l'envie de me ressaisir de ce mot pour parler de mon travail. "Le schmat doudou" est un très beau conte qui s'appuie lui-même sur d'autres versions plus anciennes – celle entre autres de Simms Taback, "Joseph had a little overcoat", inspirée d'une chanson yiddish "Hob ikh mir a mantl".

L'histoire raconte ceci : un tailleur a confectionné, comme cadeau de naissance pour son petit-fils, une couverture. Mais avec les années, celle-ci devient trop petite, s’abîme, la matière s’effiloche et le petit garçon vient trouver son grand-père pour lui demander d’en faire autre chose. La couverture devient tour à tour gilet, serviette, cravate, bouton de culotte. Un jour, le petit garçon, en jouant, perd son bouton de culotte et va trouver encore une fois son grand-père pour lui demander de (d’en ?) faire quelque chose. Le grand-père répond : avec rien, je ne peux rien faire. Le petit garçon s’en va et le livre se conclut  ainsi : avec rien, j’ai écrit cette histoire.

  Nadia C. "Shmat&new" 

 

 

 

 

First, there is the fabric.

Clothes worn to the bone, loaded with time. The clothes of a loved one who has passed away, from whom we cannot part. The birth of a child for whom we patiently sew the first blanket, piece by piece. There is the history, the big and the small, the grandmothers seamstresses, the great grandfather tailor. A clutter that comes to be resolved in the need to transform, instead of throwing away. The rags, the scraps, the shmatès says the Yiddish – what remains once the main piece has been cut and sewn. The refusal to let them become waste, the need to give them a second life.

And so these shmat poupées were born. One after the other, in the course of the material. The astonishment, unceasingly renewed, in front of the inanimate which dresses itself of one knows not which presence. Each doll is a character. They repopulate a universe, speak about the emptiness, the absence, but never in a desperate way. It is a joyful patching up to give shape to new bodies.

Shmatès. It is by this enigmatic signifier that I often heard in the mouth of my maternal grandmother – who no longer spoke Yiddish but whose French remained peppered with these words from another place and another time – that I was caught, like others. I am thinking in particular of the artist Michel Nedjar, of his dolls, his « chairdâme(s) », which seem to call us from the depths.

This term is rich in meaning. It can be translated as rags, clothes of little value, but it also speaks of the bodies that inhabited these rags before disappearing. It contains, by metonymy, this absence.

While discovering the book « Le schmat doudou », by the author and storyteller Muriel Bloch, I felt the need to take up this word to talk about my work. "Le schmat doudou" is a very beautiful tale which is itself based on older versions – that, among others, of Simms Taback, « Joshep had a little overcoat »,  inspired by a Yiddish song « Hob ikh mir a mantl ».

The story goes that a tailor made a blanket as a birth gift for his grandson. But over the years, the blanket becomes too small, it gets damaged, the material frays and  the little boy comes to his grandfather to ask him to make something else. The blanket becomes in turn a vest, a towel, a tie, a panty button. One day, the little boy, while playing, loses his panty button and goes to his grandfather again to ask him to make something out of it. The granfather answers : with nothing, I can’t do anything. The little boy leaves and the book concludes : with nothing, I wrote this story.

 

 Nadia C. "Shmat&new"

Instagram : Shmat.Poupée

Instagram : Shmat.Poupée

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