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    D'abord, il y a le tissu.

  Les vêtements usés jusqu'à la corde, chargés de temps. Les vêtements d'un être proche disparu, dont on ne parvient pas à se séparer. La naissance d'un enfant pour lequel patiemment, morceau par morceau, on coud le premier doudou. Il y a l'histoire, la grande et la petite, les grands-mères couturières, l'arrière grand-père tailleur. Un encombrement qui vient se résoudre dans la nécessité de transformer, en place de jeter. Les chiffons, les chutes, shmatès dit le yiddish – ce qui reste une fois que la pièce principale a été taillée et cousue. Le refus de les laisser devenir déchets, le besoin de leur offrir une seconde vie.

  Et ainsi sont nées les Shmat poupées. L'une après l'autre, au fil de la matière. L'étonnement, sans cesse renouvelé, devant l'inanimé qui s'habille d'on ne sait quelle présence. Chaque poupée est un personnage. Elles repeuplent un univers, parlent du vide, de l'absence, mais jamais de manière désespérée. Il s'agit d'un rapiècement joyeux pour donner forme à de nouveaux corps.

  Autodidacte, je me suis mise à confectionner ces poupées depuis une dizaine d'années. Attirée depuis longtemps par les arts, l'écriture, la peinture, la photographie, le cinéma, c'est par une pratique, la couture, que je ne pensais pas avoir dans les mains mais qui a fait retour comme un atavisme que j'ai commencé à donner vie à des personnages. Cette production a pris de plus en plus de place dans ma vie et j'y consacre aujourd'hui une part essentielle de mon temps, entre créations personnelles, expositions et workshops dans mon atelier.

   Shmatès. C'est par ce signifiant énigmatique que j'entendais souvent dans la bouche de ma grand-mère maternelle - qui ne parlait déjà plus yiddish mais dont le français restait émaillé de ces mots d'un ailleurs et d'un autre temps - que j'ai été attrapée, comme d'autres. Je pense notamment à l'artiste Michel Nedjar,  à ses poupées, ses chairdâme(s), qui semblent nous appeler des tréfonds.

 

   Le terme de Shmatès est riche de sens. On peut le traduire par chiffons, vêtements de peu de valeur, mais il parle aussi des corps qui ont habité ces chiffons avant que de disparaître. Il contient, par métonymie, cette absence. 

    C'est en découvrant le livre Le schmat doudou, de l'auteure et conteuse Muriel Bloch, qu'il m'est venu l'envie de reprendre cette trouvaille signifiante, cette apocope qui fait chuter quelques lettres et transforme shmates en un mot monosyllabique, qui met plein de consonnes dans la bouche. Le schmat doudou est un très beau conte qui s'appuie lui-même sur d'autres versions plus anciennes – celle entre autres de Simms Taback, Joseph had a little overcoat, elle-même inspirée d'une chanson yiddish Hob ikh mir a mantl.

  L'histoire raconte ceci : un tailleur a confectionné, comme cadeau de naissance pour son petit-fils, une couverture. Mais avec les années, celle-ci devient trop petite, s’abîme, la matière s’effiloche et le petit garçon vient trouver son grand-père pour lui demander d’en faire autre chose. La couverture devient tour à tour gilet, serviette, cravate, bouton de culotte. Un jour, le petit garçon, en jouant, perd son bouton de culotte et va trouver encore une fois son grand-père pour lui demander de (d’en ?) faire quelque chose. Le grand-père répond : avec rien, je ne peux rien faire. Le petit garçon s’en va et le livre se conclut  ainsi : avec rien, j’ai écrit cette histoire.

 Nadia / Shmat Poupée

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